dimanche, février 19, 2006

Parabole orientale

Un père a décidé que la moitié de son héritage reviendrait à son fils aîné, le tiers de son héritage à son deuxième fils et un neuvième à son plus jeune fils. Or l'héritage comprend dix-sept chameaux. Ainsi, après la mort de leur père, les fils ont beau retourner le problème du partage dans tous les sens, ils ne voient d'autre solution que de dépecer quelques animaux. Mais un mollah arrive à cheval et ils lui demandent conseil. Ils leur répond ceci : "Voilà, je vous donne mon chameau, votre troupeau compte maintenant dix-huit bêtes. Toi, le frère aîné, tu reçois la moitié, soit neuf chameaux. Toi, le frère cadet, tu reçois le tiers, soit six chameaux. Quant à toi, le plus jeune, tu reçois un neuvième du troupeau, c'est-à-dire deux chameaux. Cela fait dix-sept chameaux, il en reste donc un, le mien." Cela dit, le mollah monte dessus et s'en va.

 

mardi, février 07, 2006

Si JE DEVAIS RECOMMENCER MA VIE [Nadine Stair à 85 ans]

Si JE DEVAIS RECOMMENCER MA VIE

par Nadine Stair, de Louisville au Kentucky

 

(âgée de quatre-vingt-cinq ans au moment d'écrire ce texte)

 

J'userais commettre davantage d'erreurs. Je garderais mon calme. Je serais plus dégourdie. Je ferais plus de folies que je n'en ai faites cette fois-ci. Je prendrais moins de choses au sérieux. Je prendrais plus de risques. Je voyagerais davantage. Je gravirais davantage de montagnes et je nagerais dans un plus grand nombre de rivières. Je mangerais plus de glaces et moins de haricots. J'aurais peut-être davantage de maladies réelles mais certainement moins de maladies imaginaires.

Voyez-vous, je suis une de ces personnes qui vivent sagement et sainement heure après heure, jour après jour. Bien sûr, j'ai vécu de bons moments, mais si je devais recommencer et le ferais en sorte d'en connaître davantage. D'ailleurs, c'est tout ce que j'essaierais de faire: vivre de bons moments. L’un après l'autre, au lieu de vivre en pensant à demain. Je suis de ceux qui ne sortent jamais sans leur thermomètre, leur bouillotte, leur parapluie et leur parachute. Si je devais recommencer, je me chargerais moins avant de partir en voyage.

Si je devais revivre ma vie, je me promènerais pieds nus plus tôt au printemps et jusque tard en automne. J'irais plus souvent au bal. J'irais plus souvent cueillir des marguerites.

 

Cité par Rita Emmett, Ces gens qui remettent tout à demain : conseils pour vaincre la procrastination, p.93, Les Editions de l’Homme, (2001) ISBN 2-7619-1589-5

 

Liens : Une association qui rencontre des personnes âgées et isolées : Les petits frères des Pauvres

lundi, février 06, 2006

Procrastination : ÊTES-VOUS UN TEMPORISATEUR SAIN ? [Emmett] [TDA]

ÊTES-VOUS UN TEMPORISATEUR SAIN ?

Certains ont tendance à reporter certaines tâches ou les laisser en plan parce qu'ils sont constamment attirés par de nouveaux projets. Ils sont dotés de ce que j'appelle Super Attention et Ivresse Naturelle (SAIN). Cette catégorie de temporisateurs se Laissent totalement prendre par un projet qu'ils jugent intéressant mais à peine sont-ils à mi-parcours qu'ils laissent tout tomber après avoir été séduits par quelque chose d'encore plus enivrant.

Dorothée, qui est directrice d'une entreprise prospère, en est titi exemple parfait. «Depuis que je suis gamine, déclare-t-elle, j'ai toujours eu cette étrange capacité de concentrer mon attention. Dès que quelque chose piquait ma curiosité, mon cerveau se mettait en branle et toute mon attention se portait sur cette chose. Je débordais alors d'enthousiasme et plus rien d'autre n'avait d'importance pour moi. Si une enseignante captait mon attention, je n'arrivais pas à détourner mon regard d'elle. Si un livre me passionnait, le reste du monde aurait pu disparaître que je ne m'en serais pas aperçu. Puis, soudain, quelque chose de nouveau attirait mon attention tout entière et j'oubliais ce qui me captivait encore une minute auparavant. Avec comme résultat que je laissais traîner les choses. »

Pareil comportement peut avoir comme conséquence de vous faire perdre la maîtrise de votre vie tout entière. Vous menez de front trop de projets qui demeurent inachevés parce que vous vous passionnez à tout coup pour une idée nouvelle qui vient interférer avec un projet en cours que vous mettez dès lors de côté. Votre agenda est surchargé de rencontres, de réunions, de rendez-vous, de fêtes, etc. Vous écoutez la radio ou la télé tout en essayant de travailler. Au cours de vos conversations, vous sautez du coq à l'âne sans jamais approfondir un seul sujet. Ce mode de vie procure certes un sentiment d'ivresse et d'excitation, mais il est aussi source d'épuisement.

Curieusement, les gens hyperactifs semblent souvent démontrer les signes de Super Attention et Ivresse Naturelle déjà mentionnés: dans la mesure où leur esprit vagabonde d'une idée à l'autre, ils laissent derrière eux quantité de projets inachevés. Si tel est votre cas, il n'est pas nécessaire, pour terminer ce que vous avez commencé, de réprimer votre curiosité ou votre enthousiasme pour tout ce qui est nouveau. Histoire de mieux concentrer votre attention sur la tâche qui vous occupe, utilisez un minuteur. Ou, si une nouvelle idée vous vient à l'esprit alors que vous travaillez déjà à un projet, faites en sorte que votre récompense pour avoir fini celui qui vous occupe consiste à commencer le suivant. À l'aide de telles stratégies et des autres suggestions contenues dans ce livre, vous apprendrez à concentrer votre attention sur une tâche à la fois et à faire le suivi de vos projets - ainsi qu'à les mener à bien - au lieu de les abandonner chaque fois qu'une occasion nouvelle pointe à l'horizon.

 

QUATRE SIGNES QUI VOUS AIDERONT À DÉCOUVRIR SI VOUS ÊTES UN TEMPORISATEUR SAIN

 

1. Quand vous êtes absorbé par une tâche, vous oubliez ce qui se passe autour de vous.

2. Vous êtes au milieu d'un projet quand l'idée vous prend soudain de faire un appel ou de vous atteler à une autre tâche.

3. Votre intérêt pour les choses est passager. Ainsi, vous semez avec passion des légumes dans votre potager au printemps; au moment de la récolte, votre enthousiasme s'étant envolé, vous les laissez pourrir sur place. Vous entreprenez une activité sportive ou vous vous adonnez à un nouveau passe-temps pendant un certain temps, puis vous vous en lassez. (Songez à ces équipements de sport ou à ces instruments de musique dont vous vous êtes à peine servi avant de les remiser à jamais dans un placard!)

4. Votre bureau ou la table de votre salle à manger ressemble à un fouillis, mais vous parvenez néanmoins à vous y retrouver parmi les papiers, boîtes et autres objets qui y sont empilés pêle-mêle.

 

Extrait de Rita Emmett, Ces gens qui remettent tout à demain : conseils pour vaincre la procrastination, p.93, Les Editions de l’Homme, (2001) ISBN 2-7619-1589-5

Ce livre est vraiment bien et quoi de plus agréable que de temporiser en lisant un livre consacré à la procrastination !

Cruauté envers les animaux [Temple Grandin parle de B. F. Skinner à Oliver Sacks]

Bien que les exploitations spécialisées dans l'élevage, si vastes soient-elles, soient d'ordinaire des lieux calmes, un grand tumulte de mugissements s'élevait ce jour-là de la ferme expérimentale. « Ils doivent avoir séparé les veaux de leurs mères ce matin », me dit Temple quand nous arrivâmes devant le parc à bestiaux, et c'était bien ce qui s'était produit. Nous aperçûmes une vache qui vagabondait toute seule à l'extérieur de son enclos, cherchant son veau et meuglant. « Ce n'est pas une vache heureuse, commenta Temple. Elle est triste, malheureuse et contrariée. Elle veut son bébé. Elle meugle parce qu'elle ne le trouve plus, et elle est partit à sa recherche. Elle l'oubliera un moment, et puis elle recommencera. C'est comme un chagrin ou un deuil - on n'a pas beaucoup écrit sur ce thème. Les gens n'aiment pas attribuer des pensées ou des sentiments aux bovins - Skinner, lui, ne leur en attribuait pas.

Quand elle préparait sa licence dans le New Hampshire. Temple avait écrit à B. E Skinner, le grand béhavioriste, et elle s'était débrouillée pour qu'il la reçoive. « C'était un peu comme si Dieu m'avait accordé une audience, me dit-elle, et j'ai été très déçue de constater que ce grand homme n'était qu'un être humain ordinaire. Il m'a déclaré : "Il n'y a pas lieu de se demander comment le cerveau marche - c'est seulement une affaire de réflexes conditionnés." Mais, pour moi, les stimuli et les réponses n'expliquaient pas tout. » Durant l'« ère Skinner », conclut Temple, les psychologues avaient nié que les animaux puissent ressentir des émotions et rationalisé leurs comportements en les automatisant ; ç'avait été une période extraordinairement cruelle, tant dans le domaine de l'expérimentation animale qu'en ce qui concernait la gestion des fermes et des abattoirs. Elle avait lu quelque part que le béhaviorisme était une science sans coeur, et elle partageait tout à fait cette opinion : elle s'efforçait, quant à elle, de sensibiliser au maximum les éleveurs à la sensibilité animale.

La vue de cette vache affligée et l'audition de ces mugissements déchirants irritèrent d'autant plus Temple qu'elles la firent penser aux révoltants procédés de mise à mort encore employée dans certains abattoirs. Bien qu'elle ne se soit jamais intéressée aux poulets, me dit-elle, la façon dont ces volatiles étaient tués lui semblait particulièrement atroce : « Quand l'heure est venue pour les poulets de finir en croquettes, ils les prennent et les suspendent par les pattes pour leur trancher le cou », m'apprit-elle. Et les bovins étaient promis à une fin tout aussi abominable dans les vieux abattoirs kascher : les boeufs y étaient également enchaînés cul par-dessus tête, afin qu'ils se vident totalement de leur sang, après avoir été égorgés. « Ils ont parfois les membres brisés, me précisa-t-elle, et ils hurlent de souffrance et de terreur. » Dieu merci, ces pratiques n'avaient pas cours partout : quand il est convenablement effectué, « l'abattage est plus humain que la nature », poursuivit-elle. « Huit secondes après l'égorgement, le cerveau secrète une dose massive d'endorphines qui permet à l'animal de mourir sans souffrir. Il en va de même dans la nature quand un mouton se fait déchiqueter par des coyotes : la nature a créé ce mécanisme pour atténuer la souffrance de l'animal agonisant."

Seules étaient condamnables, à ses yeux, les douleurs et les cruautés évitables, ainsi que les angoisses et les stress inutilement infligés aux animaux avant le coup fatal, et c'était surtout ce qu'elle voulait empêcher. « Je veux réformer l'industrie de la viande », me déclara-t-elle, non sans ajouter immédiatement "Contrairement à d'autres, je ne réclame pas la fermeture des abattoirs : c'est une position extrémiste, et, qu'ils soient de droite ou de gauche, les extrémismes m'inspirent une aversion extrême. »

 

Extrait de Oliver Sacks, Un anthropologue sur Mars, Seuil (1996), ISBN 2-02-023824-1

Temple Grandin a écrit Ma vie d’autiste (1986), Trad. Fr. chez Odile Jacob (1994)

dimanche, février 05, 2006

Blog sur l'information

http://www.bigbangblog.net/
Blog de Daniel Schneidermann sur les médias, instructif...

samedi, février 04, 2006

Temps de cerveau humain disponible [Télévision]

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. (...) Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. (..) Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise.»

 

Patrick Le Lay, Président-directeur général de la chaîne de télévision française TF1, cité dans Les dirigeants français et le changement, 2004 (ISBN 2-91411933-X)

Pour rechercher un isbn http://fr.wikipedia.org/wiki/Special:Booksources

 

Et vous, à quoi utilisez-vous votre temps de cerveau disponible ?

Qui décide ce qui peuple votre cerveau ?

 

Trouble de l'attention : test de Copeland [TDA]

Directive: Ce test devrait être complété à la fois par la personne susceptible d'avoir un TDA et par une autre personne qui la connaît bien. Indiquez à quel degré (de 0 à 3) le comportement décrit s'applique à vous ou à la personne que vous évaluez. [Au masculin comme au féminin.]

 

de 0 à 3

%

I. Inattention/ Distractibilité

 

 

1. Concentration limitée dans le temps, surtout pour des activités de routine

 

2. Difficultés à compléter les tâches entreprises

 

3. Rêve ou rêvasse les yeux ouverts

 

4. Facilement distrait

 

5. Surnommé «lunatique» ou «rêveur»

 

6. Beaucoup de projets entrepris, aucun complété

 

7. Très enthousiasmé au départ mais vite déçu ou fatigué

 

» » » Total » » »

 

/21=%

II. Impulsivité

 

 

1. Excitabilité

 

2. Faible taux de tolérance à la frustration

 

3. Ne réfléchit pas avant d'agir

 

4. Désorganisé

 

5. Piètre capacité de planification

 

6. Passe constamment d'une activité à une autre

 

7. Dysfonctionnel en groupe (où il faut être patient et attendre son tour)

 

8. Besoin d'être supervisé

 

9. Constamment réprimandé pour avoir oublié ou mal fait

 

10. Interrompt fréquemment les conversations; parle quand ce n'est pas son tour

 

» » » Total » » »

 

/30=%

III. Niveaux d'activité

 

 

A. Suractivité/Hyperactivité

 

1. Agité, la «bougeotte» perpétuelle

 

2. Besoin de peu de sommeil

 

3. Volubile à l'excès

 

4. Piètre qualité d'écoute

 

5. Agitation motrice durant le sommeil; draps éparpillés, mouvements perpétuels

 

6. N'aime pas les situations où il faut être à l'écoute et se tenir tranquille (église, conférence, etc.)

 

» » » Total » » »

 

/18=%

B. Sous-activité

 

 

1. Léthargique

 

2. Rêveur éveillé, lunatique

 

3. N'arrive pas à compléter ses tâches

 

4. Inattention, distraction

 

5. Manque de leadership, peu débrouillard

 

6. Difficulté à remplir ses obligations

 

» » » Total » » »

 

/18=%

IV. Sous-réalisation/ désorganisation/ troubles d'apprentissage

 

 

1. Piètres réalisations en regard de ses capacités

 

2. Fréquents changements d'emploi

 

3. Objets égarés: clés, porte-feuille, listes (d'épicerie), effets personnels

 

4. Problèmes de mémoire auditive (difficultés à retenir les noms)

 

5. Troubles d'apprentissage

 

6. Écriture manuscrite illisible

 

7. Travail et appartement désordonnés

 

8. Obligations professionnelles souvent accomplies à la hâte et de façon insatisfaisante

 

9. Travail précipité

 

10. Travaille trop lentement

 

11. Procrastination: factures ou impôts impayés, ou remis à la dernière minute

 

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/33=%

Méthode d'évaluation du test de Copeland modifié pour les symptômes du TDA des jeunes adultes et des adultes:

1. Le pointage se fait de la façon suivante:

  • Pas du tout = 0; un peu = 1; passablement = 2; beaucoup = 3.

2. Calculer le pourcentage dans chacune des 4 catégories.

3. Interprétation:

  • un pourcentage compris entre 39% et 45% suggère des difficultés de légères à modérées;
  • un pourcentage compris entre 50% et 69% suggère des difficultés de modérées à sévères;
  • un pourcentage de plus de 70% suggère une dysfonction sévère.

Pour en savoir plus :

www.thada-france.org

http://panda.cyberquebec.com/lesite.htm

Et aussi

Delivered From Distraction: Getting The Most Out Of Life With Attention Deficit Disorder.de Edward M. Hallowell, John J. Ratey

Journeys Through Addulthood: Discover a New Sense of Identity and Meaning While Living With Attention Deficit Disorder de Sari Solden (ISBN : 0802713769).

 

vendredi, février 03, 2006

Comment préparez-vous l'opinion ? [ Information tendancieuse, Mémétique, Volkoff ]

Comment préparez-vous l'opinion […] ?

[…]

- Par le procédé de l'information tendancieuse. Pour cela on noyaute un journal respecté du public. Si on se garde bien de le compromettre ouvertement, toute la presse lui emboîte le pas et multiplie vos fournitures à l'infini.

- Et cette information tendancieuse, ça consiste...? […]

- Le Vademecum donne dix recettes pour la composition d'informations tendancieuses. Vous voulez connaître ces dix recettes?

[…]

- La contre-vérité non vérifiable, le mélange vrai-faux, la déformation du vrai, la modification du contexte, l'estompement avec sa variante : les vérités sélectionnées, le commentaire appuyé, l'illustration, la généralisation, les parts inégales, les parts égales.

- Vous pourriez me donner quelques exemples?

- Je vais essayer de vous refaire l'exposé de mon moniteur de stage. « Supposez, disait-il, le fait historique suivant : Ivanov trouve sa femme dans le lit de Petrov. »

[…]

Je vais vous montrer les divers traitements que vous pouvez faire subir à ce fait si, pour telle raison politique, vous voulez le présenter de manière tendancieuse.

Premier cas. Pas de témoins. Le public ne sait pas ce qu'il en est et n'a aucun moyen de se renseigner. Vous annoncez tout de go que c'est Petrov qui a trouvé sa femme dans le lit d'Ivanov. C'est ce que nous appelons une contre-vérité non vérifiable.

Deuxième recette. II y a des témoins. Vous écrivez que le ménage Ivanov ne tourne pas rond et vous concédez que, samedi dernier, Ivanov a surpris sa femme avec Petrov. II est vrai, ajoutez-vous, que, la semaine précédente, c'était Ivanova qui surprenait son mari avec Petrova. C'est le procédé du mélange vrai faux. Les proportions évidemment peuvent varier. Les gars de l'intoxication, quand ils veulent «  baser » l'adversaire, lui donnent jusqu'à 80 % de vrai pour 20 de faux, parce qu'il est important, à leur niveau, que tel point faux précis soit tenu pour vrai. Nous autres, désinformateurs et agents d'influence, nous jouons sur la quantité, et nous trouvons, au contraire, qu'un seul fait vrai et vérifiable en fait passer beaucoup qui ne sont ni l'un ni l'autre.

[…]

«  Troisième truc. Vous reconnaissez que la citoyenne Ivanova se trouvait chez Petrov samedi dernier, mais vous ironisez sur le sujet du lit. Le mobilier, dites-vous, ne fait rien à l'affaire. Plus vraisemblablement, Ivanova était tout simplement assise sur une chaise ou dans un fauteuil, mais ce serait bien dans la manière d'Ivanov, qui lui n'a que trop tendance à rouler sous la table, de calomnier sa malheureuse femme. Que voulait-on qu'elle fît ? Qu'elle se laissât rouer de coups par son ivrogne de mari ? Elle aura cru qu'il était de son devoir de se réfugier chez Petrov, et, selon toute vraisemblance, elle était accompagnée de ses enfants en bas âge, car enfin rien ne nous permet de l'accuser de les avoir abandonnés à la merci de cette brute. Rien non plus n'indique que la citoyenne Petrova n'ait pas assisté à l'entrevue Ivanova-Petrov, et même la chose est probable puisque la scène se passait dans la chambre qu'occupent les Petrov dans l'appartement communautaire qu'ils partagent avec les Ivanov. C'est le truc de la déformation du vrai.

 « Quatrième artifice. […] Vous recourez à la modification du contexte. C'est exact, direz-vous, Ivanov a trouvé sa femme dans le lit de Petrov, mais qui ne connaît Petrov? C'est un monstre de concupiscence. II n'est pas impossible qu'il ait été condamné quatorze fois pour viol. Ce jour-là, il a rencontré Ivanova dans le couloir, il s'est rué sur elle, il l'a entraînée chez lui et il était sur le point de la violenter lorsque, par bonheur, le digne citoyen Ivanov, rentrant de l'usine où il avait une fois de plus remporté le prix des trois mille écrous vissés en deux heures vingt-cinq, a défoncé la porte et a sauvé sa chaste épouse d'un sort pire que la mort. Et la preuve, crierez-vous bien fort, la preuve, c'est que l'information initiale ne fait état d'aucun reproche adressé par Ivanov à Ivanova.

« Cinquième procédé : estompement. Vous noyez votre fait vrai dans une masse d'autres renseignements : Petrov, direz-vous, est un stakhanoviste, un joueur réputé d'harmonica et de dames, il est né à Nijni-Novgorod, il a été artilleur pendant la guerre, il a offert un canari à sa mère pour ses soixante ans, il a des maîtresses, entre autres une certaine Ivanova, il aime le saucisson â l'ail, il nage bien sur le dos, il sait faire les pelmeni sibériens, etc.

Nous avons aussi une combine, inverse de l'estompement : les vérités sélectionnées. Vous choisissez dans incident que vous devez rapporter des détails véridiques mais incomplets. Vous racontez par exemple qu'Ivanov est entré chez Petrov sans frapper, qu'Ivanova a sursauté parce qu'elle est nerveuse, que Petrov a paru choqué des Mauvaises manières d'Ivanov, et qu'après avoir échangé quelques remarques sur l'extrême relâchement des moeurs qui forme une des séquelles de l'Ancien Régime, les époux Ivanov ont regagné leur foyer.

« Sixième méthode : le commentaire appuyé. Vous ne modifiez en rien le fait historique, mais vous en tirez, par exemple, une critique des appartements communautaires qui disparaissent de plus en plus rapidement, mais où de rencontres entre amants et maris ont encore lieu plus souvent que ne le prévoit le plan quinquennal. Vous décrivez ensuite une cité moderne où chaque couple de tourtereaux a son studio où il peut roucouler tout son saoul, et vous peignez un tableau idyllique du sort enviable qui y attend les Ivanov.

« La septième astuce est une autre forme de la sixième c'est l'illustration, où l'on va du général au particulier et non plus du particulier au général. Vous pouvez développer le même thème : bonheur des couples dans les cités nouvelles érigées grâce à l'efficacité bienfaisante de régime des Soviets, mais vous terminez par une exclamation comme celle-ci : Quel progrès sur les anciens appartements communautaires où se déroulaient des scènes déplorables, comme celle de cet Ivanov trouvant sa femme chez son voisin !

« La huitième tactique est la généralisation. Par exemple, vous tirez de la conduite d'Ivanova des conséquences confondantes sur l'ingratitude, l'infidélité, la luxure féminines, sans mentionner la complicité de Petrov. Ou, au contraire, vous accablez Petrov-Casanova, le vil séducteur, et vous acquittez aux acclamations du jury l'infortunée représentante d'un sexe honteusement exploité.

« La neuvième technique s'appelle : parts inégales. Vous vous adressez à vos lecteurs et vous leur demandez de commenter l'incident. Vous publiez une lettre qui condamne Ivanova, même si vous en avez reçu cent, et dix qui la justifient, même si vous n'avez reçu que ces dix-là.

«  Enfin la dixième formule est celle des parts égales. Vous commandez à un professeur d'université, polémiste compétent, aimé du public, une défense des amants sur cinquante lignes, et vous demandez à un idiot de village une condamnation des mêmes amants sur les mêmes cinquante lignes, ce qui établit votre impartialité.

 

Extraits de Vladimir Volkoff, Le Montage, Presse Pocket (1990) ISBN 2-266-02853-7

Initialement paru en 1982 aux éditions Juillard/L’Age d’Homme, ce formidable roman est vraiment très instructifs sur les méthodes de manipulation de l’opinion. Lisez-le  et souvenez-vous : si quelqu’un prend « conscience » d'une théorie concernant son comportement, il n'est plus soumis à celle-ci, mais devient au contraire libre de lui désobéir.

 

Des prédictions qui se vérifient d'elles-mêmes [Constructivisme - Watzlawick - Howard]

[...] les prédictions qui se vérifient d'elles-mêmes sont des phénomènes qui, non seulement ébranlent notre propre conception de la réalité, mais aussi peuvent remettre en question la conception scientifique du monde. Les prédictions ont toutes en commun un pouvoir manifestement créateur de réalité : celui d'une solide croyance dans le fait que les choses sont telles qu'on les suppose être - cette foi pouvant être une superstition, tout comme une théorie en apparence parfaitement scientifique et dérivée d'une observation objective. On a pu, encore très récemment, rejeter catégoriquement ce type de prédictions comme scientifiques, ou bien les attribuer à un manque d'adaptation la réalité propre aux esprits confus et aux romantiques. Mais cette porte de sortie nous est aujourd'hui fermée.

[...] la réalité inventée devient réalité « réelle » seulement si le sujet qui invente croit à son invention. Quand l’élément de foi ou de conviction aveugle manque, alors aucun effet ne se produit. En comprenant mieux la nature des prédictions qui se vérifient d'elles-mêmes, notre capacité de les dépasser croît aussi. Une prédiction que nous savons être seulement une prédiction ne peut plus se vérifier d'elle-même. La possibilité de faire un choix différent (d'être un hérétique) et de désobéir existe toujours ; mais effectivement voir et saisir cette possibilité est bien sûr encore une autre affaire. Le domaine de la théorie mathématique des jeux, en apparence éloigné de notre propos, présente cependant un aspect qui nous intéresse ici. Dans ses Remarques sur les fondements des mathématiques, Wittgenstein notait que l'on peut gagner certains jeux à l'aide d'un simple truc. Dès que quelqu'un attire notre attention sur ce truc, nous n’avons plus besoin de continuer à jouer naïvement (ni de continuer à perdre). A partir de ces réflexions, le mathématicien Howard formula son axiome existentiel affirmant que « si quelqu’un prend « conscience » d'une théorie concernant son comportement, il n'est plus soumis à celle-ci, mais devient au contraire libre de lui désobéir »1. Il affirme aussi ailleurs :

« Quiconque prend consciemment une décision a toujours la liberté de désobéir à une théorie qui prédit son comportement. Disons qu'il a toujours la possibilité de « transcender » cette théorie. […] »

1Howard, Niguel, The Theorv of Metagames, General Systems, n°2, 1967, p. 167.

 

Extraits de Paul Watzlawick, L’invention de la réalité, contributions au constructivisme, 1988, Points Seuil n°325, p.125-128, ISBN 2.02.029452.4

mercredi, février 01, 2006

Renseignement, terrorisme et manipulation des masses [Volkoff]

Ce que vous appelez d'un terme approximatif le renseignement se présente sous deux aspects...

[…]

- L'espionnage et le contre-espionnage sont deux moments du même aspect, qui n'est pas négligeable, loin de là, mais qui reste tout de même simpliste. Tâcher de savoir ce que fait l'adversaire, l'empêcher de savoir ce que je fais moi, tout cela, c'est relativement passif. Les choses commencent à devenir intéressantes à partir du moment où c'est moi qui suggère à l'adversaire les intentions qu'il essaiera ensuite de réaliser.

[…]

Je ne vois pas d'inconvénient, après tout, à vous apprendre que nous distinguons cinq procédés permettant d'amener l'adversaire à agir comme nous le souhaitons.

« Premièrement la propagande blanche, qui se joue à deux, et qui consiste simplement à répéter « Je suis meilleur que vous » des millions de fois. Deuxièmement la propagande noire, qui se joue à trois : on prête à l'adversaire des propos fictifs composés pour déplaire au tiers auquel on donne cette comédie. Puis il y a l'intoxication, qui peut se jouer à deux ou trois : là il s'agit de tromper, mais par des procédés plus subtils que le mensonge ; par exemple je ne vous donnerais pas de faux renseignements, mais je m'arrangerais pour que vous me les voliez. Ensuite il y a la désinformation, mot que nous utilisons aussi pour désigner globalement toutes ces méthodes. Au sens étroit, la désinformation est à l'intoxication ce que la stratégie est à la tactique.

[…]

- Un mot seulement : ce cinquième procédé s'appelle l'influence, et les quatre autres ne sont que jeux d'enfant par comparaison. […]

Ce qu'il faut faire, c'est déboulonner l'ordre ancien sans rien proposer de précis pour le remplacer : ce n'est que lorsqu'il est devenu complètement incapable de se défendre qu'on peut introduire l'ordre nouveau. Enfin, rien n'est plus démodé que le schéma selon lequel on fait d'abord de la propagande, et ensuite on déclenche une insurrection. En réalité la terreur est indispensable, mais uniquement pour amorcer l'explosion qui, elle, n'a aucun besoin d'être violente. […] nous avons fait des progrès : maintenant le terrorisme n'a plus d'autre utilité que de nous fournir des occasions d'exercer ce que nous appelons notre influence, et cela grâce à des moyens techniques […] : les mass media.

[…] Au Moyen Age, l'assassinat d'un individu, mettons un prince, pouvait transformer l'histoire d'un pays; ensuite les peuples sont entrés en scène et ce genre d'action ponctuelle n'a plus servi à rien; aujourd'hui nous allons à grands pas vers une période où l'individu sera de nouveau déterminant, pas à cause de ses qualités propres, mais par le simple fait de la mise en facteur de l'information. Je ne mis pas si vous vous en rendez compte : la physionomie humaine, qui a déjà été multipliée par la photographie de masse et le cinéma, sera multipliée encore une fois, dans le quart de siècle qui vient, par la télévision. Je ne crois pas me tromper : dans vingt-cinq ans la prise d'un otage ou l'assassinat d'un lampiste auront plus de retentissement qu'une guerre coloniale au XIXe siècle.

 

Extraits de Vladimir Volkoff, Le Montage, tirés des pages 72-75, Presse Pocket (1990) ISBN 2-266-02853-7

Initialement paru en 1982 aux éditions Juillard/L’Age d’Homme, ce formidable roman est vraiment très instructifs sur les méthodes de manipulation de l’opinion.

A lire d’urgence pour le plaisir et pour avoir un peu de recul sur l’état du monde tel qu’on nous le présente : guerre en Irak, terrorisme, menace nucléaire et grève des fonctionnaires…