mercredi, février 01, 2006

Renseignement, terrorisme et manipulation des masses [Volkoff]

Ce que vous appelez d'un terme approximatif le renseignement se présente sous deux aspects...

[…]

- L'espionnage et le contre-espionnage sont deux moments du même aspect, qui n'est pas négligeable, loin de là, mais qui reste tout de même simpliste. Tâcher de savoir ce que fait l'adversaire, l'empêcher de savoir ce que je fais moi, tout cela, c'est relativement passif. Les choses commencent à devenir intéressantes à partir du moment où c'est moi qui suggère à l'adversaire les intentions qu'il essaiera ensuite de réaliser.

[…]

Je ne vois pas d'inconvénient, après tout, à vous apprendre que nous distinguons cinq procédés permettant d'amener l'adversaire à agir comme nous le souhaitons.

« Premièrement la propagande blanche, qui se joue à deux, et qui consiste simplement à répéter « Je suis meilleur que vous » des millions de fois. Deuxièmement la propagande noire, qui se joue à trois : on prête à l'adversaire des propos fictifs composés pour déplaire au tiers auquel on donne cette comédie. Puis il y a l'intoxication, qui peut se jouer à deux ou trois : là il s'agit de tromper, mais par des procédés plus subtils que le mensonge ; par exemple je ne vous donnerais pas de faux renseignements, mais je m'arrangerais pour que vous me les voliez. Ensuite il y a la désinformation, mot que nous utilisons aussi pour désigner globalement toutes ces méthodes. Au sens étroit, la désinformation est à l'intoxication ce que la stratégie est à la tactique.

[…]

- Un mot seulement : ce cinquième procédé s'appelle l'influence, et les quatre autres ne sont que jeux d'enfant par comparaison. […]

Ce qu'il faut faire, c'est déboulonner l'ordre ancien sans rien proposer de précis pour le remplacer : ce n'est que lorsqu'il est devenu complètement incapable de se défendre qu'on peut introduire l'ordre nouveau. Enfin, rien n'est plus démodé que le schéma selon lequel on fait d'abord de la propagande, et ensuite on déclenche une insurrection. En réalité la terreur est indispensable, mais uniquement pour amorcer l'explosion qui, elle, n'a aucun besoin d'être violente. […] nous avons fait des progrès : maintenant le terrorisme n'a plus d'autre utilité que de nous fournir des occasions d'exercer ce que nous appelons notre influence, et cela grâce à des moyens techniques […] : les mass media.

[…] Au Moyen Age, l'assassinat d'un individu, mettons un prince, pouvait transformer l'histoire d'un pays; ensuite les peuples sont entrés en scène et ce genre d'action ponctuelle n'a plus servi à rien; aujourd'hui nous allons à grands pas vers une période où l'individu sera de nouveau déterminant, pas à cause de ses qualités propres, mais par le simple fait de la mise en facteur de l'information. Je ne mis pas si vous vous en rendez compte : la physionomie humaine, qui a déjà été multipliée par la photographie de masse et le cinéma, sera multipliée encore une fois, dans le quart de siècle qui vient, par la télévision. Je ne crois pas me tromper : dans vingt-cinq ans la prise d'un otage ou l'assassinat d'un lampiste auront plus de retentissement qu'une guerre coloniale au XIXe siècle.

 

Extraits de Vladimir Volkoff, Le Montage, tirés des pages 72-75, Presse Pocket (1990) ISBN 2-266-02853-7

Initialement paru en 1982 aux éditions Juillard/L’Age d’Homme, ce formidable roman est vraiment très instructifs sur les méthodes de manipulation de l’opinion.

A lire d’urgence pour le plaisir et pour avoir un peu de recul sur l’état du monde tel qu’on nous le présente : guerre en Irak, terrorisme, menace nucléaire et grève des fonctionnaires…

 

1 commentaire:

KristofC a dit…

Du même Volkoff, on a « Petite histoire de la désinformation », 1999. Les passages sur la Seconde Guerre Mondiale (où les Anglais étaient passés maîtres dans l’intoxication) sont croustillants.