vendredi, février 03, 2006

Des prédictions qui se vérifient d'elles-mêmes [Constructivisme - Watzlawick - Howard]

[...] les prédictions qui se vérifient d'elles-mêmes sont des phénomènes qui, non seulement ébranlent notre propre conception de la réalité, mais aussi peuvent remettre en question la conception scientifique du monde. Les prédictions ont toutes en commun un pouvoir manifestement créateur de réalité : celui d'une solide croyance dans le fait que les choses sont telles qu'on les suppose être - cette foi pouvant être une superstition, tout comme une théorie en apparence parfaitement scientifique et dérivée d'une observation objective. On a pu, encore très récemment, rejeter catégoriquement ce type de prédictions comme scientifiques, ou bien les attribuer à un manque d'adaptation la réalité propre aux esprits confus et aux romantiques. Mais cette porte de sortie nous est aujourd'hui fermée.

[...] la réalité inventée devient réalité « réelle » seulement si le sujet qui invente croit à son invention. Quand l’élément de foi ou de conviction aveugle manque, alors aucun effet ne se produit. En comprenant mieux la nature des prédictions qui se vérifient d'elles-mêmes, notre capacité de les dépasser croît aussi. Une prédiction que nous savons être seulement une prédiction ne peut plus se vérifier d'elle-même. La possibilité de faire un choix différent (d'être un hérétique) et de désobéir existe toujours ; mais effectivement voir et saisir cette possibilité est bien sûr encore une autre affaire. Le domaine de la théorie mathématique des jeux, en apparence éloigné de notre propos, présente cependant un aspect qui nous intéresse ici. Dans ses Remarques sur les fondements des mathématiques, Wittgenstein notait que l'on peut gagner certains jeux à l'aide d'un simple truc. Dès que quelqu'un attire notre attention sur ce truc, nous n’avons plus besoin de continuer à jouer naïvement (ni de continuer à perdre). A partir de ces réflexions, le mathématicien Howard formula son axiome existentiel affirmant que « si quelqu’un prend « conscience » d'une théorie concernant son comportement, il n'est plus soumis à celle-ci, mais devient au contraire libre de lui désobéir »1. Il affirme aussi ailleurs :

« Quiconque prend consciemment une décision a toujours la liberté de désobéir à une théorie qui prédit son comportement. Disons qu'il a toujours la possibilité de « transcender » cette théorie. […] »

1Howard, Niguel, The Theorv of Metagames, General Systems, n°2, 1967, p. 167.

 

Extraits de Paul Watzlawick, L’invention de la réalité, contributions au constructivisme, 1988, Points Seuil n°325, p.125-128, ISBN 2.02.029452.4

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