dimanche, janvier 29, 2006

Résistance, alternative illusoire et logique à multiples niveaux [Milton Erickson]

L'exemple suivant donne une idée de la complexité avec laquelle un expert accompli [Milton Erickson] dans le langage du changement peut entremêler l'utilisation de la résistance, l'alternative illusoire et la logique à multiples niveaux de l'injonction comme forme de communication.

Un soir, le fils d'Erickson, Lal, âgé de huit ans, déclara qu'à partir de ce jour son père n'avait plus d'ordres à lui donner en quoi que ce soit et que, pour le prouver, il refusait de dîner. Erickson accepta le défi, mais fit remarquer qu'il serait regrettable que Lal se refuse à manger. Est-ce que le fait d'accepter ou de refuser de boire un verre de lait ne pourrait pas suffire pour trancher la question? Le garçon acquiesça. Après le dîner, son père posa un grand verre de lait sur la table, et le rituel soigneusement mis au point commença. Erickson s'adressa d'abord à l'enfant en ces termes : « Lai, bois ton lait! u Et ce dernier répondit avec une calme détermination : « Non, je n'y suis pas obligé et tu ne peux pas m'y obliger. » Erickson insista à plusieurs reprises, et puis ordonna soudain : « Lal, renverse ton lait! » Le garçon eut l'air surpris, mais refusa immédiatement de se plier à cette nouvelle injonction. Erickson réitéra également cet ordre un certain nombre de fois, puis demanda à Lal de jeter son verre par terre, ce que, bien entendu, il refusa de faire. Erickson passa alors à l'ordre suivant : «  Ne prends pas ce verre de lait! » Lal souleva alors le verre avec méfiance. Il reçut immédiatement l'ordre de ne pas poser le verre; le verre fut donc rapidement remis sur la table. Le moment crucial de l'interaction survint alors. Je laisse à Erickson le soin de le décrire :

Allant au tableau noir fixé au mur, le père écrivit : «prends le verre» d'un côté et « pose le verre » de l'autre. Il expliqua alors qu'il allait faire un pointage du nombre de fois où Lal ferait quelque chose qu'on lui avait dit de faire. Il lui rappela que les deux ordres écrits au tableau avaient déjà été donnés plusieurs fois, mais que, désormais, il en ferait le compte en inscrivant une marque à la craie chaque fois qu'il ferait l'une des deux choses qu'on lui avait précédemment ordonné d'accomplir. Lal écoutait fort attentivement.

Le père poursuivit :

«  Lal, ne prends pas le verre » et fit une encoche à la craie dans la colonne « prends le verre », ce que faisait Lal par défi. Il lui demanda alors de ne pas poser le verre. Lal le reposa et une nouvelle marque vint alors s'inscrire dans la colonne «  pose le verre ». Le père se livra un certain temps au même exercice pendant que Lal examinait le nombre croissant de marques dans chaque colonne. Puis le père écrivit «  bois ton lait » et «  ne bois pas ton lait », en expliquant que désormais il pointerait les réponses de Lal à ces deux propositions. Lal écoutait attentivement mais commençait à manifester les signes avant-coureurs d'un certain désespoir. Son père lui dit alors gentiment : «  Ne bois pas ton lait maintenant. » Lal porta lentement le verre à ses lèvres, mais entendit : « Bois ton lait » avant d'avoir pu avaler une gorgée. Soulagé, il reposa le verre. Deux marques vinrent s'inscrire respectivement dans chaque colonne. La même scène se reproduisit plusieurs fois. Puis le père ordonna à Lal de ne pas brandir le verre au-dessus de sa tête, mais de le renverser par terre. Lal leva le bras lentement. et, avec précaution, brandit le verre au-dessus de sa tête. Il reçut immédiatement l'ordre de ne pas rester comme ça. Le père passa alors dans l'autre pièce, revint avec un livre et un second verre de lait. Puis il fit remarquer : « Je trouve que tout cela est stupide. Ne pose pas ton verre. » Avec un soupir de soulagement. Lal reposa le verre sur la table, contempla les marques à la craie sur le tableau. poussa encore un soupir et dit : « Restons-en là, papa. » « Certainement, Lal. Ce jeu est non seulement idiot, mais il n'est même pas très drôle. La prochaine fois que nous aurons une dispute à régler, nous ferons en sorte qu'il s'agisse de quelque chose de réellement important, afin que nous puissions y réfléchir et en parler de façon sensée. » Lal acquiesça de la tête. Le père ramassa son livre, vida son verre de lait d'un trait et s'apprêta à quitter la pièce. Lal le regarda faire, prit son verre en silence et but son lait jusqu'à la dernière goutte.

[Milton Erickson cité par Paul Watzlawick dans le langage du changement, Points Seuil 186 (1980), p. 152-153, ISBN 2.02.009387.1].

 

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